En voulant maîtriser et composer le son entendu en dehors
du standard stéréophonique, on se heurte immédiatement au problème de sa reproductibilité
: quels sont les aspects du son que j'entends que je peux reproduire, quelle
est la marge de variations acceptable à l'intérieur de laquelle je reconnais
mon œuvre et au delà de laquelle je n'accepte plus qu'elle puisse exister
?
Vouloir intégrer l'espace au même titre que tout ce
qui est entendu n'est en fait que le révélateur de la difficulté inhérante
à toute sono-fixation et met en évidence l'existence de multiples degrés
dans le rapport entre fixation et reproductibilité.
Type 1 : la
fixation intégrale
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... est rare. Elle se produit lorsqu'il n'y a pas de variation
significative entre ce qui a été réalisé et ce qui est donné à
entendre, lorsque la partie dévolue à l'espace extrinsèque
est intégrée dans l'espace intrinsèque (voir les
quatre espaces). Je vois cinq cas pour lesquels ceci est envisageable :
- l'œuvre
éphémère, l'installation qui a été
conçues pour et avec un lieu, un dispositif et
une circonstance particulière et qui ne pourra jamais être entendue
ailleurs ; - l'implantation "définitive" d'un
dispositif sonore dans un musée ou même, pourquoi pas, dans une salle dédiée
? - un système qui intègre à la fois le dispositif de
projection et les conditions de son écoute.
L'Acoustigloo du GMVL en représente une
bonne application ;
- lorsque le dispositif de projection est concentré à une petite zone
et nécessite un écoute de proximité (sculptures sonores ?),
l'importance acoustique du lieu peut devenir négligeable ;
-
éventuellement l'écoute au casque, mais il existe d'énormes
variations d'un modèle à l'autre... ce cas de figure
me semble plus relever du "type 2".
Dans ces différents cas, le matériel utilisé
pour la projection correspond idéalement à celui utilisé pour la
production. Que l'on se place du point de vue de
la démarche compositionnelle, du son produit ou de ce qu'entend
le public (la seule variation étant sa propre écoute) la re-production
est "parfaite", la logique de "mécanisation"
aboutie, la plasticité de l'œuvre sonore complétement
assumée...
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Type 2 :
la fixation forte
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admet un certain taux de variabilité
à l'intérieur d'une démarche de fixation exigeante. C'est le cas de la démarche multiphonique en
projection directe. Du point de vue de la composition il
y a bien fixation, mais une marge plus ou moins faible de variations
admissible
introduit un degré d'incertitude, du point de vue du son et de
l'auditeur. Cette variabilité ne change pas d'une manière significative
le sens et la perception de l'œuvre, de la même manière que
la taille de l'écran
ou la place qu'on occupe dans une salle de cinéma tant que cela
reste dans une marge acceptable ne modifie
que faiblement notre perception du film.
Par rapport au type 1, on gagne
une certaine adaptabilité, dépendant bien sûr
des particularités du dispositif (au sens large). L'espace extrinsèque
existe mais il ne constitue que l'adaptation de l'espace intrinsèque
aux conditions particulières locales.
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Type 3 :
la fixation souple
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correspond à la réalisation fixée d'un support, destiné
à être écouté dans des conditions qui représentent en
principe une marge
de variations acceptables, MAIS, contrairement à la fixation forte,
où il existe une possibilité importante que l'utilisateur ou un tiers s'écarte de ce cadre
prévu. Il n'y a aucun moyen pour le compositeur de s'assurer
que les conditions d'écoute correspondent à celles qui sont implicitement
définies. Toute production de support à usage domestique entre
dans ce cas de figure : la réalisation d'un CD, produit
fini réputé inaltérable (fixation du point de vue
de la composition) par sa diffusion rend possible des conditions et attitudes
d'écoute de la part de l'utilisateur totalement aléatoires
(point de vue du son et de l'auditeur). L'utilisation de ce même
support pour la projection publique en concert sur un dispositif
différent présente les mêmes caractéristiques aléatoires, même si
cette fois ce n'est plus l'auditeur qui en est la cause mais l'organisateur
et l'interprète. L'espace extrinsèque peut éventuellement
prendre le pas sur l'espace intrinsèque. La "souplesse"
de cette fixation est en fait celle de l'œuvre qui doit supporter ou
non d'être entendue autrement que comme elle a été réalisée. Mais
le support reste malgré tout le point de référence auquel il est
toujours possible de se reporter.
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Type 4 :
la fixation faible
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intègre
dans son principe même les causes de sa variabilité
: les musiques instrumentales "spatialisées", les "musiques
mixtes" qui font intervenir des traitements en "temps réel", mais
aussi, comme dans le type 3, la projection interprétée lorsqu'elle
est érigée en principe. Un élément fixé - support ou programmation
- est combiné avec des actions qui le modifient ou qui juxtaposent d'autres
éléments non fixés. Le schéma dominant n'est plus celui de la
reproduction mais au contraire de la singularisation : du point
de vue de la composition, du son et de l'auditeur, chaque exécution
est forcément différente, et cette différence est voulue par le
compositeur. À la limite, la notation sur partition peut être
considérée comme une tentative imparfaite (du point de vue du support
et du son, pas de celui qui écoute !) de fixation faible.
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Type 5 :
la fixation floue
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fait
se rejoindre apparemment et paradoxalement les types 1 et 4, dans
le sens où : - comme en 1, le compositeur a tout déterminé et
même a pu intégrer des caractéristiques du milieu de projection
y compris le public ; - comme en 1, il n'y a pas d'intervention d'une
tierce personne venant modifier en direct ce qui est présenté
au public ; - mais comme en 4, il existe un
pourcentage plus ou moins important de variation qui fait que, du point de
vue du son et du point de vue de l'auditeur, chaque moment est différent.
Par contre, contrairement au type 4, cette variation est totalement
intégrée, fixée sur le
support (point de vue de la composition).
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Niveaux
de flou |
Cette fixation
floue, on
la rencontre déjà, à faible dose, lorsqu'on travaille
avec des instruments MIDI et qu'ils intègrent dans la facture du son
ou le contrôle
de certains paramètres des commandes aléatoires
(module "Sample & Hold" basé sur du bruit blanc) ou chaotiques
(modulations en cascade par exemple). L'échelle à laquelle ces
variations interviennent est généralement non
significative pour la structure (variations d'allure d'un entretien,
distribution des fourmillement d'une trame...), et la fixation définitive
de ces micro-aléas par capture du signal en aval,
si elle a lieu, n'en change pas la perception. Appelons là, dans ce
cas, de "niveau 1".
Ceci peut par contre aller beaucoup plus loin avec des systèmes
de génération des commandes MIDI (notes, contrôleurs)
ou du son synthétisé en temps-réel. Dans ce cas, c'est non
seulement l'aspect, la morphologie de certains sons qui peut différer
d'une fois à l'autre, mais aussi le moment précis des apparitions,
le choix du son qui est produit, les enchaînements structurels etc... et là, nous atteignons le "niveau
2". Il y a bien toujours fixation, l'auteur
ayant déterminé l'ensemble des conditions
qui contrôlent les différents possibles, l'éventail des
apparences que l'œuvre peut prendre (cf l'appologie de la potentialité
chez les membres de l'OULIPO).
Ce principe peut être particulièrement intéressant lors
d'installations permanentes où il permet par exemple d'éviter "l'effet
boucle" : la reproduction toutes les "x" minutes des mêmes
séquences. Une ancienne installation octophonique
de Bernard FORT, "Ikebana", basée sur un logiciel de Dominique Saint-Martin, fonctionnait
de la sorte, ou encore "La Tour aux métaux
d'oubli", une partie "d'Acousma-Parc" de l'auteur
(moi...) en six canaux
qui utilisait un logiciel nommé Hypnosis,
sur Atari... (et beaucoup d'autres, excusez moi !...).
Enfin, un troisième degré ("niveau
3") fait intervenir un deus ex machina : le public
lui-même.
Jusqu'alors la variation était intrinsèque à la fixation.
Ici aussi en fait : les possibilités d'influence ou de contrôle
qui sont données au public sont bien fixées sur le
support par programmation (voir l'interactivité).
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