On sait que l'acousma en France s'est très tôt posé
le problème de l'écoute publique des œuvres sur support
(en fait dès le premier "concert de bruits" de 1948).
Pour un art qui se fait avec les oreilles ceci semble en effet la moindre
des choses ! Mais, à part quelques tentatives ponctuelles (Henry,
Stockhausen, Reibel...) dont le mérite n'est pas à sous-estimer,
les acousmates ont été sans cesse écartelés
entre la conscience de l'originalité de leur propos (et des moyens
associés à mettre en œuvre), et le poids de la tradition
musicale. Je renvoie ici à l'analyse de Patrick Ascione
dans l'article déjà cité.
Je rappellerai néanmoins quelques points :
L'acousmatique, dans ses manifestations extérieures et jusqu'à
présent, ne s'est jamais globalement libérée du modèle
musical "savant" européen :
- prédominance de l'implantation frontale dans les dispositifs
- individualisation des timbres des haut-parleurs en tessiture et en "pupitres"
- rare utilisation des plans en hauteur sinon comme remplissage, lointains
ou faire-valoir... (et ce n'est pas si souvent un problème technique).
Seules alternatives à cela, des conceptions cinétiques basées
sur le cercle ou ses dérivés. Quelle indigence et, on pourrait
le croire, quel manque d'imagination !
Que ce soit surtout le modèle orchestral qui prédomine,
cela se comprend aisément puisqu'il amplifie à la fois l'écoute
stéréophonique du studio et qu'au niveau du visuel il se
présente comme une reconstitution spatiale des différents
pupitres timbraux que le mélomane connaît : l'auteur s'y
retrouve et pense que le public aussi. Si ce système parfaitement
représenté par l'acousmonium du GRM a fait ses preuves dans
"l'adaptation" des oeuvres stéréophoniques à
la dimension d'une salle de concert, revendiquer et généraliser
ces points [comme étant intrinsèques à la création
et la diffusion acousmatique] m'apparaît plus comme une survivance
d'anciennes habitudes que comme le résultat d'une réflexion
fondamentale liée à des observations concrètes en
situation de réalisation et de diffusion.
Si
les tentatives de gérer l'espace dès la composition ne sont
pas nouvelles, il faut reconnaître que les dispositifs techniques
permettant une réalisation avec autant d'efficacité et de
souplesse que la stéréophonie ne sont apparus que récemment.
Et même sur ce point, nombreux sont ceux qui attendent encore (ou
qui se cachent derrière...) LA machine qui permettra de tout faire.
Mais voilà, ces machines, imparfaites, existent (§
7) et sont même d'une redoutable efficacité. Seulement,
petit problème, il faut remettre en cause beaucoup de choses...
Il faut néanmoins reconnaître que l'élimination du
problème de l'espace réel, ou tout du moins son déplacement,
ont pu avoir un effet bénéfique pendant une certaine période
: le nombre de critères sur lesquels jouer est tellement vaste
que cela a pu éviter une dispersion qui aurait pu être néfaste
à la constitution d'un "langage" sonore réellement
original.
La situation actuelle, peut-être grâce à la mise sur
le marché de systèmes qui gèrent facilement (à
défaut d'efficacement) 8 canaux [en 1990... la situation a quelque
peu changé en 2001 avec la gestion des formats "surround"],
semble montrer à la fois une tendance, une curiosité vers
la multiphonie, et une perpétuation de la diffusion stéréophonique.
Coincés entre l'évidence de l'intérêt d'une
telle démarche et l'attentisme (pour ne pas dire la légèreté)
général, les acousmates mettent le gros orteil dans l'eau.
Allez-y, elle est moins froide quand on s'y baigne totalement !
Ce n'est pourtant pas une question de moyens (un studio "multiphonique"
coûte moins cher maintenant qu'un studio analogique stéréo
il y a dix ans) [et que dire d'aujourd'hui !!!!! ], peut-être, comme
dit plus loin, l'incertitude des débouchés ?
Certains essaient de ménager la chèvre et le choux en veillant
à la compatibilité stéréo de leurs travaux
multiphoniques ou s'orientent plutôt vers la "diffusion assistée"
qui, elle, ne remet absolument rien en cause, ne faisant que souligner
la difficulté qu'il y a à ajouter de l'espace sur quelque
chose de déjà cohérent... ou l'inutilité de
le faire sur quelque chose qui ne l'est pas !
Sur ce dernier point je serai sans pitié (!) [et cette remarque
reste valable aujourd'hui] : si la diffusion manuelle peut se justifier
pour des raisons pratiques ou économiques, si elle offre au moins
le mérite de pouvoir s'adapter instantanément et facilement
à n'importe quelle circonstance (sans parler du choix esthétique
et "comportemental" [vis à vis du public] qu'elle représente),
les "aides à la diffusion" ne sont pour moi que joujoux
technologiques dépassés : si l'on veut travailler sur l'espace
d'une manière efficace il faut prendre le problème à
sa source. La diffusion manuelle fait croire que l'on peut marcher sur
l'eau, la diffusion assistée donne des béquilles (!) alors
qu'il suffit de construire un bateau…
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