"Pour un art des sons vraiment fixés"

L'état des lieux [en 1991 !]

On sait que l'acousma en France s'est très tôt posé le problème de l'écoute publique des œuvres sur support (en fait dès le premier "concert de bruits" de 1948). Pour un art qui se fait avec les oreilles ceci semble en effet la moindre des choses ! Mais, à part quelques tentatives ponctuelles (Henry, Stockhausen, Reibel...) dont le mérite n'est pas à sous-estimer, les acousmates ont été sans cesse écartelés entre la conscience de l'originalité de leur propos (et des moyens associés à mettre en œuvre), et le poids de la tradition musicale. Je renvoie ici à l'analyse de Patrick Ascione dans l'article déjà cité.
Je rappellerai néanmoins quelques points :
L'acousmatique, dans ses manifestations extérieures et jusqu'à présent, ne s'est jamais globalement libérée du modèle musical "savant" européen :
- prédominance de l'implantation frontale dans les dispositifs
- individualisation des timbres des haut-parleurs en tessiture et en "pupitres"
- rare utilisation des plans en hauteur sinon comme remplissage, lointains ou faire-valoir... (et ce n'est pas si souvent un problème technique).
Seules alternatives à cela, des conceptions cinétiques basées sur le cercle ou ses dérivés. Quelle indigence et, on pourrait le croire, quel manque d'imagination !
Que ce soit surtout le modèle orchestral qui prédomine, cela se comprend aisément puisqu'il amplifie à la fois l'écoute stéréophonique du studio et qu'au niveau du visuel il se présente comme une reconstitution spatiale des différents pupitres timbraux que le mélomane connaît : l'auteur s'y retrouve et pense que le public aussi. Si ce système parfaitement représenté par l'acousmonium du GRM a fait ses preuves dans "l'adaptation" des oeuvres stéréophoniques à la dimension d'une salle de concert, revendiquer et généraliser ces points [comme étant intrinsèques à la création et la diffusion acousmatique] m'apparaît plus comme une survivance d'anciennes habitudes que comme le résultat d'une réflexion fondamentale liée à des observations concrètes en situation de réalisation et de diffusion.

Si les tentatives de gérer l'espace dès la composition ne sont pas nouvelles, il faut reconnaître que les dispositifs techniques permettant une réalisation avec autant d'efficacité et de souplesse que la stéréophonie ne sont apparus que récemment. Et même sur ce point, nombreux sont ceux qui attendent encore (ou qui se cachent derrière...) LA machine qui permettra de tout faire. Mais voilà, ces machines, imparfaites, existent (§ 7) et sont même d'une redoutable efficacité. Seulement, petit problème, il faut remettre en cause beaucoup de choses...
Il faut néanmoins reconnaître que l'élimination du problème de l'espace réel, ou tout du moins son déplacement, ont pu avoir un effet bénéfique pendant une certaine période : le nombre de critères sur lesquels jouer est tellement vaste que cela a pu éviter une dispersion qui aurait pu être néfaste à la constitution d'un "langage" sonore réellement original.

La situation actuelle, peut-être grâce à la mise sur le marché de systèmes qui gèrent facilement (à défaut d'efficacement) 8 canaux [en 1990... la situation a quelque peu changé en 2001 avec la gestion des formats "surround"], semble montrer à la fois une tendance, une curiosité vers la multiphonie, et une perpétuation de la diffusion stéréophonique. Coincés entre l'évidence de l'intérêt d'une telle démarche et l'attentisme (pour ne pas dire la légèreté) général, les acousmates mettent le gros orteil dans l'eau. Allez-y, elle est moins froide quand on s'y baigne totalement !
Ce n'est pourtant pas une question de moyens (un studio "multiphonique" coûte moins cher maintenant qu'un studio analogique stéréo il y a dix ans) [et que dire d'aujourd'hui !!!!! ], peut-être, comme dit plus loin, l'incertitude des débouchés ?
Certains essaient de ménager la chèvre et le choux en veillant à la compatibilité stéréo de leurs travaux multiphoniques ou s'orientent plutôt vers la "diffusion assistée" qui, elle, ne remet absolument rien en cause, ne faisant que souligner la difficulté qu'il y a à ajouter de l'espace sur quelque chose de déjà cohérent... ou l'inutilité de le faire sur quelque chose qui ne l'est pas !
Sur ce dernier point je serai sans pitié (!) [et cette remarque reste valable aujourd'hui] : si la diffusion manuelle peut se justifier pour des raisons pratiques ou économiques, si elle offre au moins le mérite de pouvoir s'adapter instantanément et facilement à n'importe quelle circonstance (sans parler du choix esthétique et "comportemental" [vis à vis du public] qu'elle représente), les "aides à la diffusion" ne sont pour moi que joujoux technologiques dépassés : si l'on veut travailler sur l'espace d'une manière efficace il faut prendre le problème à sa source. La diffusion manuelle fait croire que l'on peut marcher sur l'eau, la diffusion assistée donne des béquilles (!) alors qu'il suffit de construire un bateau…